La grande muraille d’Égypte

Une histoire de maçons et de parallélisme…

Emmanuelle Saillard Inria

L’histoire de la grande muraille d’Égypte commence en l’an −51 lorsque la reine Cléopâtre règne sur l’Égypte. Afin de montrer la grandeur de l’Égypte face à l’empire romain, Cléopâtre ordonne la construction d’une muraille autour de son palais. Comme elle habite en Égypte, elle aimerait sa muraille en forme de triangles les uns à côté des autres pour rappeler les pyramides. Pour réaliser cette tâche, elle fait appel à Numérocis, son meilleur maçon. Elle lui demande d’utiliser des briques colorées qui ont la particularité d’être jolies mais très lourdes. N’ayant pas de couleur préférée, elle laisse Numérocis libre sur le choix des couleurs. La seule contrainte imposée par Cléopâtre est de réaliser la muraille le plus rapidement possible et avec deux couleurs. Devant l’ampleur de la tâche, Numérocis demande à son ami Numérodis de l’aider. Afin de vérifier l’évolution de la construction, Cléopâtre charge Pénaltis, son maître des pénalités, de distribuer des pénalités si un maçon ne travaille pas suffisamment.

Le but de cette activité est d’introduire un domaine de l’informatique qui s’appelle le calcul haute performance, à travers la construction d’un morceau de la muraille triangulaire. À la fin de l’activité, les joueurs auront un aperçu de certaines difficultés liées à l’écriture de programmes parallèles.

Le public

Cette activité est recommandée pour des élèves de collège et lycée mais peut être adaptée pour des élèves en école primaire.

Le matériel

Pour réaliser l’activité, il est nécessaire de disposer de cubes de deux couleurs différentes qui formeront deux tas de briques (petits cubes en bois, legos, carrés de sucre…). Il faut également imprimer les fiches personnages, les jetons pénalités et les cartes, donnés plus loin dans cet article. Il est recommandé de plastifier les cartes et les jetons pénalités pour faciliter leur manipulation. Dans le reste de l’article, nous supposerons avoir des briques jaunes et bleues.

Le contexte

L’activité se joue de préférence par groupe de trois car il y a trois personnages : deux maçons (Numérocis et Numérodis) et un maître des pénalités (Pénaltis). Chaque groupe de participants a des cartes à sa disposition qui sont de trois types : carte « réflexion », carte « construction » et carte « savez-vous ? » :

  • les cartes « réflexion » cachent des mathématiques ! L’idée est de retrouver des formules mathématiques ;
  • les cartes « construction » proposent de construire un motif qui est donné, ou bien à créer ;
  • les cartes « savez-vous ? » ont pour but d’informer sur différents sujets liés au calcul haute performance.

Les maçons doivent reproduire à l’identique le motif qui se trouve sur la carte piochée ou en créer un. Pour chaque construction, les maçons doivent respecter les deux règles d’or suivantes :

  • les maçons choisissent chacun une couleur de brique différente avant de commencer la construction et ils ne poseront chacun que des briques de cette couleur ;
  • un maçon peut poser une brique si les conditions suivantes sont réunies (dans les schémas ci-dessous, la brique qui va être posée est la brique bleue, et tous les cas de figure sont représentés sur ce schéma) :
    1. la brique sera posée sur le sol, ou bien à cheval sur deux briques déjà posées au niveau en dessous (comme le montrent tous les schémas ci-dessous),
    2. la brique sera posée à la position la plus à gauche du niveau considéré (schémas 1 et 3) ou bien immédiatement à droite d’une brique déjà posée (schémas 2 et 4).
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Pénaltis est responsable de l’évaluation de la construction. Il vérifie que la construction se fait dans les temps. La construction prend du retard quand un même maçon pose deux briques de suite (et l’autre doit attendre). Pénaltis posera un jeton pénalité dans ce cas (on a deux briques bleues de suite, ou deux briques jaunes de suite). Selon le motif choisi pour la construction, un maçon pourra être amené à attendre pour poser sa brique.

Comme on pourra le voir sur les premières cartes « construction », les maçons ont comme mission de construire le début de la muraille représentant 3 triangles en tout, comme sur la figure suivante :

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Le but est de construire chaque triangle de la muraille le plus efficacement possible. Chaque triangle a 6 briques pour la base et se construira en utilisant les cartes « construction ». Les constructions se feront avec deux couleurs qui montrent la répartition du travail entre Numérocis et Numérodis, les deux maçons responsables de la construction de la muraille. Pour plus d’originalité, les maçons construiront différents motifs sur chaque triangle. Un motif est défini par la coloration des briques.

Le déroulé

Comptez environ 50 minutes pour faire l’activité. Pour une classe, faire des groupes de 3 élèves si possible (un groupe de deux est possible, un des maçons jouera alors le rôle du maître des pénalités). Chaque groupe aura un tas de cartes, les fiches personnages et des briques.

L’activité se joue en piochant les cartes les unes après les autres. Faites un tas avec les cartes, faces visibles ou cachées, en les mettant dans l’ordre. Jouez en piochant les cartes une à une, jusqu’à ce que le tas soit vide. Une partie simple comprend 7 cartes. Selon le temps et la motivation des joueurs, des cartes bonus sont en option sur ce site1.

Chaque carte « construction » construit un des triangles de la muraille triangulaire. La première carte est une carte « construction » qui a pour but de se familiariser avec les règles des personnages. Elle propose un motif à construire pour le premier triangle de la muraille. Pour ce motif, Pénaltis posera forcément des pénalités. Les cartes 3 et 6 demandent respectivement de construire deux nouveaux motifs : un avec le plus de pénalités possibles et un avec le moins de pénalités possibles. Plusieurs motifs existent dans les deux cas.

La deuxième carte est une carte « réflexion »qui propose de retrouver la formule donnant la somme des x premiers entiers. L’idée est de mettre les briques sous forme d’un demi rectangle et de voir qu’un autre demi rectangle peut s’emboiter à côté pour former un rectangle entier. La taille du rectangle et une réflexion autour de la quantité de briques aide à retrouver la formule. La carte 4 rappelle des notions de probabilités. Pour trouver combien de motifs existent avec N briques, il faut trouver combien de possibilités on a pour poser la première brique, puis la deuxième, puis la troisième, etc…

La carte « savez-vous ? » numéro 5 fait le lien entre l’activité et plus précisément une construction de muraille et le calcul haute performance. La dernière carte (numéro 7) interroge sur une expression largement utilisée de nos jours. Un indice : ce n’est pas Mr Bug !

Retour à l’informatique

La construction de la muraille est comme un programme à exécuter. Chaque bout de mur triangulaire représente un calcul et le motif sur ce bout de mur met en avant la répartition du calcul entre les deux maçons. Si Numérocis construit tout seul la muraille à motifs triangulaires, la construction prendra du temps. C’est ce qu’il se passe dans la carte 3. Faire appel à Numérodis va nous permettre de construire la muraille en moins de temps. En effet, tant qu’on n’a pas de pénalité, le fait d’avoir deux maçons permet à Numérodis de poser une brique pendant que Numérocis fait son aller-retour pour en poser une autre, sans le ralentir. Cette construction en parallèle donne un des motifs possibles demandé sur la carte 6 et divise le temps de construction par 2.

Pour retranscrire le gain de temps pour une construction, Pénaltis évalue celle-ci en posant des jetons pénalité. Certains motifs entrainent forcément des pénalités, tout comme les calculs dans un programme ont souvent des dépendances (une étape d’un calcul doit être faite avant une autre étape). La première construction demandée sur la carte 1 en est l’exemple. Le nombre de pénalités dépend de la façon dont les maçons se sont organisés (Numérocis peut faire en sorte de poser le plus de briques possibles pour que Numérodis puisse poser sa première brique le plus vite possible) et du motif à réaliser. Pénaltis estime qu’une construction est optimale si les maçons posent une brique à tour de rôle (carte 6).

Le calcul haute performance permet d’effectuer rapidement des calculs complexes et des traitements de données massives. La construction de la muraille met en avant l’importance de bien réfléchir au découpage d’un programme parallèle pour qu’il s’exécute le plus efficacement possible (c’est-à-dire rapidement). Les constructions se font avec deux couleurs pour distribuer la charge de travail entre Numérocis et Numérodis. C’est la même chose lorsqu’on veut répartir du temps de calcul entre deux processeurs. Le découpage du calcul est appelé un motif dans l’activité. Un motif retranscrit la difficulté du découpage d’un calcul dans certains cas. Après l’exécution d’un programme, le développeur ou la développeuse analyse généralement les résultats obtenus pour s’assurer que le programme s’exécute correctement et cherche à améliorer les performances de celui-ci (c’est-à-dire réduire le temps d’exécution). Pour cela, on doit identifier les parties du programme qui prennent beaucoup de temps. Ce sont les briques où l’on a eu des pénalités.

Les femmes aussi font de l’informatique ! Peu de gens le savent mais les femmes sont à l’origine de plusieurs concepts informatique. C’est le cas de Grace Hooper qui est réputée avoir utilisé le mot « bug » pour la première fois. Ce mot est encore utilisé aujourd’hui pour parler d’une erreur dans un programme.

Les fiches personnages et cartes à imprimer2

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Réponses aux questions des cartes

1. Carte « construction »

Le motif du premier triangle entraîne forcément un nombre de pénalités non nul. Le nombre total de pénalités dépend de la façon dont les maçons s’organisent (Numérocis peut faire en sorte de poser le plus possible de briques pour que Numérodis puisse poser sa première brique le plus vite possible). Pour obtenir le nombre minimum de pénalités (6), les briques doivent être posées dans cet ordre :

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2. Carte « réflexion »

Le nombre de briques pour une base de x briques est \(\sum \limits_{i=1}^{x} i = \frac{x\times(x+1)}{2}\). La démonstration peut se faire par récurrence. Pour retrouver la formule, on peut mettre les briques sous forme d’un demi rectangle et remarquer qu’un autre triangle peut s’emboiter pour former un rectangle de taille \(x \times (x+1)\). Le rectangle contient deux fois plus de briques que le triangle, il faut donc diviser la taille du rectangle par 2.

3. Carte « construction »

Un motif avec une pénalité la plus grande possible est l’exemple d’un travail très mal réparti entre les maçons. Un seul maçon travaille, la construction est séquentielle. Les deux motifs possibles sont les suivants (santionnés par 20 pénalités) :

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4. Carte « réflexion »

Il y a \(2^N\) motifs possibles avec deux couleurs. Pour chaque brique, on a deux choix de couleur possibles.

5. Carte « savez-vous ? »

Le parallélisme désigne le fait, pour un système, d’être capable d’effectuer plusieurs unités de calcul simultanément pour accélérer l’exécution d’une application.

6. Carte « construction »

Un motif avec une pénalité la plus petite possible est l’exemple d’un travail parfaitement réparti entre les maçons. Un exemple de motif est (sans aucune pénalité) :

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7. Carte « savez-vous ? »

Une légende raconte que l’expression « bug informatique » a été utilisée pour la première fois en 1947 par Grace Hopper, informaticienne, mathématicienne et officier supérieur de la marine américaine. Après avoir découvert un papillon de nuit dans la machine Mark II, l’équipe de Grace Hopper a décidé de scotcher l’insecte dans le journal de bord de l’ordinateur avec la mention manuscrite « first actual case of bug being found » (que l’on pourrait traduire par « première découverte d’un véritable bug »).


  1. https://emmanuellesaillard.fr/mediation/.
  2. Fiches à télécharger ici : https://1024.socinfo.fr/2025/12/cartes.pdf.