Louis Bolliet nous a quittés le 21 novembre 2024 à l’âge de 96 ans.
Louis Bolliet est né à Chambéry le 11 mai 1928. Après des études secondaires au lycée Lalande de Bourg-en-Bresse et une classe préparatoire au lycée du parc à Lyon, il intègre l’IEG (institut électrotechnique de Grenoble) l’une des écoles de l’IPG où il obtient le diplôme d’ingénieur IEG et une licence ès sciences à la faculté des sciences de Grenoble. Après son service militaire, il intégre la section spéciale1 « radioélectricité » puis avec son diplôme d’ingénieur IRG, il est embauché au laboratoire d’électronique du professeur Jean Benoît en 1955.

Rappelé au Maroc en avril 1956, il est contacté par le professeur Jean Kuntzmann (1912–1992), qui a été son professeur de mathématiques appliquées à l’IEG, pour un emploi d’ingénieur au Laboratoire de calcul dans la perspective de l’installation d’un calculateur électronique digital. Dès sa libération, en novembre 1956, il est embauché comme ingénieur CNRS au Laboratoire de calcul. Ce laboratoire créé en 1951 et dont l’intitulé précisait Laboratoire d’essais ouvert aux applications industrielles occupera tout d’abord les combles de l’aile Casimir Brenier de l’IPG près de la gare de Grenoble, avant d’être le premier laboratoire déménagé en 1963 sur le campus de Saint-Martin-d’Hères-Gières2. Les premières années de ce laboratoire, de 1951 à 1955, ont vu le développement de méthodes de calcul sur calculateur électronique analogique, essentiellement pour la résolution d’équations différentielles et d’équations aux dérivées partielles. Cette période d’activité scientifique aboutit aux Journées alpines de calcul numérique organisées en 1955 par le Laboratoire de calcul, IBM et la SOGRÉAH3.
On peut dater de 1956 le premier cours de programmation à Grenoble par M. Sollaud de la société Normacem de Lyon. Ce cours avait quatre auditeurs : Jean Kuntzmann, professeur, Jean Laborde, chef de travaux (comme on disait à l’époque), Louis Bolliet, ingénieur, et un élève-ingénieur, Henri Rohrbach, premier et unique élève de la première section spéciale IMAG (ingénieur en mathématiques appliquées de Grenoble). Les travaux pratiques se déroulaient à Lyon le samedi sur une machine à programmation par cartes.
En 1957 et 1958 arrivèrent au Laboratoire de calcul Noël Gastinel (1925–1984) et Bernard Vauquois (1929–1985) qui prirent respectivement la responsabilité de l’analyse numérique et de la traduction automatique. En 1961, Jean Kuntzmann confia à Louis Bolliet le soin de créer une équipe de recherche sur la compilation des langages de programmation de haut niveau (Algol, Cobol, Fortran). À l’époque, l’écriture de compilateurs était encore l’affaire des laboratoires de recherche, et les constructeurs des premiers ordinateurs à programme enregistré passaient des contrats avec des centres de recherche en vue de produire des compilateurs pour faciliter l’accès de leurs machines aux programmeurs. Pas moins de 19 compilateurs ont été réalisés par cette équipe grenobloise.
Sous l’impulsion de Louis Bolliet cette équipe de recherche s’est rapidement forgé une compétence reconnue mondialement. C’est ainsi que le groupe de travail ALGOL WG 2.1 de l’IFIP s’est réuni en 1965 à Saint-Pierre-de-Chartreuse. De même en 1966 une école d’été de l’OTAN sur les langages de programmation était dirigée par François Genuys à Villard-de-Lans où les conférenciers se nommaient Louis Bolliet, Ole-Johan Dahl, Edsger W. Dijkstra, Calvin C. Elgot, Charles A.R. Hoare. Dès 1963, de nombreuses thèses étaient soutenues à Grenoble sur le sujet des langages de programmation et leur compilation : Jean-Loup Baer (1963), Jean-Claude Boussard (1964), Georg Werner (1964), Olivier Lecarme (1965), Jean Le Palmec (1966) Xuan Nguyen-Dinh (1966), Jacques Cohen (1967), Alain Colmerauer (1967), Laurent Trilling (1967), Jean-Pierre Verjus (1968), entre autres ; mais aussi sur d’autres sujets de l’informatique : Michel Lucas (1968), Michel Adiba (1970), Joëlle Coutaz (1970), Olivier Lecarme (1970), Guy Mazaré (1973), Serge Guiboud-Ribaud (1975), Claude Boksenbaum (1976) parmi d’autres.
Louis Bolliet soutint lui-même sa thèse de doctorat d’État en 1967 (on disait à l’époque doctorat ès sciences appliquées pour ne pas choquer les puristes pour lesquels l’informatique en train de naître n’était tout de même pas à ranger dans la même catégorie que les Mathématiques ou la Physique !). Dans cette activité de recherche et de production de compilateurs, Louis Bolliet a favorisé de nombreux contacts entre l’université de Grenoble, l’INP et l’industrie. Il fut à l’origine avec René Moreau de la création du centre scientifique IBM en 1967, le premier hors des États-Unis, sur les thèmes de recherche de la compilation et les systèmes d’exploitation. Michael Griffiths soutiendra en 1969 à Grenoble la première thèse d’État en informatique (devenue entre temps une discipline scientifique comme les autres) sur l’automatisation de la production de compilateurs. Le système CP/CMS installé à Grenoble sur l’ordinateur IBM 360/67 a permis l’éclosion de travaux importants sur les machines virtuelles. En 1970 Louis Bolliet est à l’origine de la création du centre scientifique CII et du début d’une coopération avec l’IRIA dans le cadre du Plan calcul.
Parallèlement à cette activité de chercheur Louis Bolliet s’est investi dans des tâches d’enseignement, notamment dans le cadre de la PST (promotion supérieure du travail) qui proposait des cours de perfectionnement à des employés d’entreprises. Cette structure évoluera vers un centre universitaire d’éducation et de formation des adultes (CUEFA) et un centre d’enseignement du CNAM. Louis Bolliet y enseignera de 1965 à 1988, notamment les techniques de la programmation et celles de l’informatique en général. Le nombre de diplômes d’ingénieur informaticien du CNAM délivrés à Grenoble pendant cette période représente plus du tiers de l’ensemble des diplômes toutes disciplines confondues.
En 1966 furent créés en France les IUT, dont l’IUT 2 de Grenoble où est créé un département informatique. Là encore c’est Louis Bolliet qui met en place une équipe d’enseignants issus du laboratoire IMAG (informatique et mathématiques appliquées de Grenoble) devenu entre temps le LA 7 dans la terminologie du CNRS (laboratoire associé nº 7). Le département d’informatique de l’IUT 2 de Grenoble comptera dès 1967 Louis Bolliet parmi ses enseignants comme maître de conférences4, puis comme professeur en 1970. Sous son impulsion, ce département qu’il a lui-même dirigé pendant cinq années a connu un succès considérable auprès des étudiants, avec un nombre de candidatures dépassant certaines années de quinze fois le nombre de places offertes. Corrélativement, des taux de réussite très élevés ont fait de ce département une filière de choix pour les étudiants souhaitant poursuivre leurs études en école d’ingénieurs ou en école doctorale.
La dernière activité de Louis Bolliet liée à l’informatique concerne l’organisation du premier Colloque sur l’histoire de l’informatique en France (mai 1988) et la sauvegarde du patrimoine scientifique et industriel, en l’occurrence la conservation des matériels et logiciels des générations successives d’ordinateurs. En 1985 il est l’un des fondateurs de l’ACONIT (Association pour un conservatoire de l’informatique et de la télématique) dont il sera président. Cette association — soutenue par la ville de Grenoble, la METRO5 et le conseil général de l’Isère — s’est donné pour tâche d’entretenir une collection du patrimoine informatique. En 1998 il suggéra l’idée d’une série de manifestations Cinquante ans d’informatique à Grenoble (novembre et décembre 2002).
Le 16 mai 2008, un colloque d’hommage à Louis Bolliet pour son quatre-vingtième anniversaire s’est tenu sur le campus de Grenoble avec des interventions de Fabrice Théoleyre (CNRS-LIG), Florence Bertails (INRIA-LJK), Antoine Girard (UJF- LJK), Pierre Genevès (CNRS-LIG), Jacques Cohen (Brandeis University-Massachusetts), Gérard Berry (Collège de France), Joseph Sifakis (CNRS, premier lauréat français du prix Turing en 2007), Jean-Pierre Verjus (INRIA). Le jour même, le député-maire de Grenoble Michel Destot remit à Louis Bolliet la grande médaille d’or de la ville de Grenoble.
On trouvera à cet URL6 une vidéo datant de 2012 réunissant Louis Bolliet, Jean-Claude Boussard, François Peccoud et moi-même, vidéo prise à l’occasion d’un colloque d’hommage à « Jean Kuntzmann le pionnier de l’informatique » pour le centenaire de sa naissance.
En 2017 Louis Bolliet a été nommé membre d’honneur de la Société informatique de France. On trouvera un enregistrement de son discours ici7.
Que ce soit dans le domaine de la recherche ou dans celui de l’enseignement, l’activité de Louis Bolliet a toujours été fondatrice. Il est l’un des rares pionniers français de l’informatique. Ses collaborateurs connaissent d’autre part son extrême modestie alliée à une très grande simplicité. Ils savent surtout combien sa vie professionnelle a été pour lui une véritable passion au service de la découverte et de l’innovation.
À côté de ses activités professionnelles, de 1983 à 1995, Louis Bolliet s’est impliqué dans le conseil municipal de Venon, commune rurale où il résidait au pied de la chaîne de Belledonne, et il en a été maire de 1989 à 1995 en apportant pendant son mandat un réel soutien aux agriculteurs.
- La section spéciale était une année supplémentaire de l’INP de Grenoble regroupant des formations d’ingénieur (ENSERG, ENSIMAG…) et permettant à des diplômés de se spécialiser dans une nouvelle discipline… ce qu’a fait Louis Bolliet. ↩
- Il avait été impossible d’installer un très lourd ordinateur dans les locaux de l’INP, rue Félix Viallet au centre-ville de Grenoble, ce qui avait conduit à l’installation à Saint-Martin-d’Hères-Gières, dans le nouveau campus créé à cette occasion. ↩
- Société grenobloise d’études et d’applications hydrauliques. ↩
- Grade équivalent de nos jours à celui de professeur de seconde classe [NdE]. ↩
- Structure administrative (métropole) regroupant les communes de l’agglomération grenobloise, et gérant notamment les transports en commun. ↩
- https://videos.univ-grenoble-alpes.fr/video/20198-jean-kuntzmann-pionnier-de-linformatique/. ↩
- https://archive.socinfo.fr/wp-content/uploads/2017/02/congres-SIF-Louis-Bolliet.mp3. ↩